Intégration en Cours
2016
De 2015 à 2016, Juliette Dupuis Carle a travaillé dans un centre d’hébergement d’urgence situé Porte de Saint-Ouen à Paris. Ce centre accueillait deux cents hommes isolés, demandeurs d’asile originaires du Soudan, d’Érythrée et surtout d’Afghanistan.
Son équipe et elle étaient chargés de trouver de la nourriture, des vêtements et d’organiser des activités sportives et culturelles pour rompre le quotidien d’attente et d’ennui de ces hommes.
Après de nombreux refus dans les structures sportives, notamment au prétexte du manque d’hygiène, les musées ont été les seuls à accepter d’accueillir leur groupe. Françoise Vergès, à propos de son livre Décoloniser les musées (La Fabrique, 2023), explique qu’à travers cette institution, l’État met en scène son niveau de civilisation. Le musée tient un rôle important dans la construction de la Nation, de l’image et du récit qu’elle veut donner d’elle-même. Face à l’émotion, à la curiosité et au désir de ces hommes d’accéder enfin à cette dimension de notre vie, Juliette Dupuis Carle entreprend alors de les amener durant plusieurs mois dans les différents musées de Paris et, avec leur accord, à les y photographier parmi les œuvres. Ces vitrines du pays des Lumières sont alors contemplées par ces demandeurs d’asile venus de l’autre bout du monde à la recherche de liberté – emblème suprême de la France.
Par ce travail, la photographe questionne les politiques de ce qui a été nommé « l’intégration des immigrés », mises en place en France depuis les années 1980 et jusqu’à la « crise » des réfugiés de 2015. Avec la douceur qui caractérise son écriture photographique, elle nous confronte aux clichés que nous associons aux réfugiés. L’esthétisme majestueux des musées de Paris crée un parallèle avec les images dévalorisantes du demandeur d’asile surreprésentées dans les médias. Mêlant portraits pleins d’émotion et décor, la série laisse apparaître une certaine distance entre les œuvres et ces hommes, celles de cultures différentes qui se rencontrent dans une époque qui n’existe plus, mais qui reste ancrée dans l’imaginaire français.
Ce parallèle veut aussi mettre en lumière le passé colonial de la France rattrapé par les vagues d’immigration successives et les nombreux conflits postcoloniaux. Là, où les œuvres venues d’autres siècles représentent encore les valeurs de la république proclamées à l’aube de la révolution, que reste-t-il de ces promesses aujourd’hui ? Que pouvons-nous encore offrir à ces hommes ?
Durant un an, Juliette Dupuis Carle a été témoin de l’arrivée difficile de réfugiés et demandeurs d’asile en France. Bien que la traversée nous semble être l’épreuve la plus dur à affronter pour eux, leur arrivée et leur intégration restent violentes. Hébergés au-delà du périphérique parisien en collocation dans des chambres insalubres de huit mètres carrés sans possibilité de travailler ni d’étudier, leur calvaire continue pendant de nombreuses années, voire à vie.
Parmi eux, la photographe s’est liée d’amitié avec Fauzy, un demandeur d’asile de 50 ans échappé du Soudan, devenu réfugié. Fauzy ne parlait ni français ni anglais et pourtant, il arrivait toujours à lui transmettre ce qu’il comprenait des œuvres. Il lui avait d’ailleurs expliqué, seulement avec ses mains, sa passion pour l’art. Il ne manquait jamais aucune de leurs sorties. Un jour, en contemplant une œuvre de 1830, il a pointé du doigt un enfant, seul, au milieu d’une foule de révolutionnaires. Et sans un mot, il lui a montré que l’enfant était le seul à regarder vers la droite, vers l’avenir, alors que le reste du groupe forçait le chemin pour aller, tous, vers la gauche.
Ainsi, au milieu de ce problème profond de l’immigration, Juliette Dupuis Carle veut nous laisser apercevoir une lumière, marqué par l’Art et toutes ses possibilités.